Le visage de Jésus

Le visage de Jésus n’est connu de personne. En effet, les évangiles n’en donnent aucune description physique. Alors sur quelles bases nos représentations traditionnellede Jésus sont-elles fondées ?

Si l’on n’a aucune effigie dans les premiers siècles, c’est que la loi de Moïse (Décalogue) interdisait de représenter toute forme humaine. Les premières représentations exécutées par les premiers chrétiens datent de l’époque du creusement des catacombes de Domitille et de Saint- Calixte à Rome. Sur les mosaïques romaines et les peintures des sarcophages, on peut voir Jésus avec un visage juvénile, imberbe et des cheveux courts. Souvenons-nous que la tradition juive n’acceptait pas que les hommes portent les cheveux longs, usage qui était réservé aux femmes (saint Paul, 1, Corinthiens, 11). Figuré en tant que berger et empereur, il ressemble à un Romain de l’époque.

Au IIIe siècle, en Syrie, au monastère de Saint-Sarkis, on le représente sous les traits d’un jeune homme. Au IVe siècle apparaissent les icônes byzantines exprimant plutôt un homme mature avec une chevelure noire, la raie au milieu, ce qui va influencer les artistes d’après.

Mais au VIe siècle, un changement se produit avec le Christ «Pantocrator» (maître de tout). Une icône byzantine, qui se trouve au monastère Sainte-Catherine au mont Sinaï, a été peinte en 530. On possède donc une image un peu différente des précédentes : Jésus est de face, grand, élancé, cheveux longs et bruns, portant la barbe, avec de grands yeux et un nez fin et long. Immobilele regard droit, digne et solennel, il fait songer à l’image du sage grec de l’Antiquité. C’est un portrait tel qu’on peut encore le connaître de nos jours. On s’interroge encore sur les raisons de cette substantielle modification. Ce faciès provient-il de ceux qui ont vu Jésus de son vivant et qui l’auraient décrit ? Vient-il d’une autre source : tableau, peinture ou fresque qui auraient disparu par la suite ?

C’est à travers les œuvres d’art tant orientales qu’occidentales que l’image de Jésus s’est forgée dans l’imaginaire collectif contemporain. De ce fait, il a été assez souvent représenté en Occident comme un homme nordique, le teint pâle, à la chevelure longue et relativement blonde, avec des yeux bleus délavés.

Mais ce portrait a évolué selon l’époque, les circonstances et le choix du créateur, chacun mettant en valeur un aspect : sagesse, puissance, gloire, sérénité, tendresse… Ainsi apparaît-il comme un adolescent angélique chez Léonard de Vinci (XVe siècle), comme un homme ordinaire chez Rembrandt (XVIIe siècle), un homme vieilli chez Gustave Doré (XIXe siècle). Cela s’est poursuivi au XXe siècle : une abstraction chez Georges Rouault, un autoportrait chez James Ensor, une absence de tête chez Olivier Christinat.

De nos jours, la science grâce à l’anthropologie médico-légale (étudede crânes notamment) a encore renouvelé la vision. Les recherches de Richard Neave et de son équipe à l’université de Manchester en lien avec celledes archéologues israéliens ont donné le portrait suivant : 1,55 mètre, 50 kilos, visage rond, peau foncée, barbe moyenne et cheveux courts.

Mais l’important n’est pas d’avoir le portrait du Christ. La foi a-t-elle besoin d’un visage ? La contemplation d’une Sainte Face est-elle vraiment nécessaire ? Ce qui compte plus que tout, c’est l’enseignement de Jésusle message qu’il a voulu transmettre. C’est donc à ses gestes, à ses paroles qu’il faut prêter attention.

DOMINIQUE JACOB

LE SAINT SUAIRE DE TURIN
Il nous faut également examiner le cas de ce célèbre linceul à l’impression « acheiropoïète » (non faite de main humaine). En 1902, le professeur Vignon a comparé ce dernier avec le Christ Pantocrator. Il a noté huit similitudes : ride, sourcil, pommette, espace supranasal glabre, barbe bifide, yeux, pli de la gorge, mèche de cheveux. Il est troublant de retrouver ces marques dans la coupole de Daphni et l’abside de Cefalu en Sicile en date des XIe et XIIe siècles. En affinant les premières découvertes, ses successeurs, tels le théologien Edward Wuenschel, les ont portées à seize, voire trente-neuf. Actuellement une étude plus exhaustive a permis d’enregistrer plus de quarante six points de convergence. Mais les spécialistes continuent de s’interroger sur ses concordances.

Photos de haut en bas :
– Détail du « Christ au jardin de Gethsemani », Gerrit van Honthorst, 1617, musée de l’Ermitage, Saint-Petersbourg (Russie).
– « Christ Pantocrator » (Christ en majesté), mosaïque du XIIe siècle, cathédrale de Cefalù (Italie).
– Négatif du visage du linceul de Turin, Secondo Pia, 1898.