Aimer le Christ

Fiche réalisée avec le concours du délégué diocésain à la solidarité et la diaconie

Voici un ensemble de propositions d’exposition eucharistique, élaborées en collaboration avec le délégué diocésain à la solidarité et la diaconie.

Les Écritures nous révèlent que toute rencontre avec le Christ ne peut se cantonner à un entre-soi avec lui : André court aussitôt chercher Simon-Pierre (Jn 1, 40-42) et la Samaritaine court à la ville (Jn 4, 28). Dans l’Évangile selon saint Jean, Jésus lui-même affirme : « Celui qui me voit, voit Celui qui m’a envoyé » (Jn 12, 45) et « Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14, 9). Lors de la multiplication des pains, sitôt « reconnu » comme l’auteur du miracle, il s’enfuit pour ne pas être fait roi (Jn 6, 15) et, à Emmaüs, sitôt reconnu à la fraction du pain, il disparait (Lc 24, 31). Non seulement Jésus est insaisissable, mais en plus, sa rencontre nous conduit toujours vers un autre, si ce n’est vers l’Autre, et ce, non pas successivement, mais simultanément.

La liturgie n’échappe pas à ce double renvoi simultané du Christ vers Dieu et vers l’homme. « Même lorsque [la liturgie] se tourne vers le Christ et ses mystères, son mouvement ne s’arrête point au Christ » (J.A. Jungmann, Des lois de la célébration liturgique, Paris, Cerf, 1956, p. 22). La liturgie nous fait demander à Dieu d’aimer le Christ et nos frères du même amour. A l’image de Marthe, le service est consacré dans l’amour : « apprends-nous, à son exemple, à servir le Christ en chacun de nos frères » ; « ainsi pourrons-nous, à l’exemple de sainte Marthe, progresser sur terre dans un sincère amour pour toi » (collecte et prière après la communion de la messe de sainte Marthe). L’amour de Dieu et l’amour des frères ne se vit pas par moments dédiés tantôt à l’un, tantôt aux autres, puisqu’il s’agit du même amour. C’est pourquoi, apporter un verre d’eau à un petit, c’est l’apporter au Seigneur, nourrir celui qui a faim, c’est nourrir le Seigneur, visiter le malade ou le prisonnier, c’est aller jusqu’à lui… (Mt 25, 35-40). On retrouve cette idée dans certaines prières après la communion « Que cette nourriture […] nous incite à te servir dans nos frères » (Formulaire XXII), « Brûle-nous d’une charité qui nous attire toujours vers le Christ et nous apprenne à le reconnaître en nos frères » (Sacré-Coeur de Jésus). La liturgie, dans le sillage des Écritures, lie étroitement et même conditionne l’amour de Dieu par l’amour du prochain, comme on peut lire durant le temps de Noël, célébration du Dieu fait homme : « Si quelqu’un dit : ‘‘J’aime Dieu’’, alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. Et voici le commandement que nous tenons de lui : celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère ». (1Jn 4, 20-21).

« Relier étroitement la diaconie et la liturgie est un enjeu fondamental […] pour toute l’Eglise, 50 ans après la réforme liturgique de Vatican II. La diaconie se situe au cœur de la foi, elle est un authentique chemin spirituel, elle est appelée à se déployer aussi en louange et action de grâce. La diaconie ne peut se passer de cette nourriture essentielle qu’est la liturgie, tout comme la liturgie reste stérile si elle ne s’épanouit pas en diaconie. Notre Eglise souffre d’un cloisonnement dommageable entre ces deux tâches de la mission chrétienne. Ce cloisonnement se traduit parfois par un certain clivage entre des chrétiens dont la pratique est essentiellement liturgique et d’autres pour qui l’engagement évangélique se fait sur le plan social, mais qui ne se reconnaissent guère dans des pratiques liturgiques » (Diaconia 2013, note théologique n°7). Derrière ces enjeux, Diaconia pointe un réel déficit spirituel et pastoral, que l’exposition eucharistique, entre autres, pourrait soit accentuer, soit combler.

Si, dans l’exposition eucharistique, notre regard s’arrête sur l’hostie, la foi nous fait aller doublement plus loin : tout en reconnaissant dans le pain consacré le Corps du Christ et en l’adorant, nous sommes conduits par lui-même vers l’autre. C’est bien la dynamique du jeudi saint, où celui-là même qui dit « ceci est mon corps », lave aussi les pieds de ses disciples. C’est également la dynamique de la prière eucharistique, dans laquelle, sitôt les espèces consacrées, l’Eglise fait porter au Père par le Christ toutes ses supplications pour elle-même et pour le monde. Cet équilibre doit être tenu et manifesté par la liturgie, sans quoi la célébration devient soit une fuite du monde, soit un vernis rituel dont l’hypocrisie fait dire à Dieu par son prophète : « Je déteste, je méprise vos fêtes, je n’ai aucun goût pour vos assemblées. Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes, je ne les accueille pas ; vos sacrifices de bêtes grasses, je ne les regarde même pas. Éloignez de moi le tapage de vos cantiques ; que je n’entende pas la musique de vos harpes. Mais que le droit jaillisse comme une source ; la justice, comme un torrent qui ne tarit jamais ! » (Am 5, 21-24). Que le Seigneur nous garde de devenir l’objet de telles remontrances !

Dans l’exposition eucharistique, la méditation du mystère de l’eucharistie convoque à notre mémoire les paroles de la consécration : « ceci est mon corps, livré pour vous ». L’autel, sur lequel est posé l’ostensoir, nous rappelle à la fois le sacrifice que le Christ a fait pour nous, et la table qui nous rassemble et à laquelle les absents sont invités et attendus par le Seigneur lui-même. Le Rituel de l’eucharistie en dehors de la messe, dont relève l’exposition eucharistique, indique d’une part que tout doit permettre « de ne s’occuper que du Christ Seigneur » (Rituel n° 95) et d’autre part, que l’on peut intégrer la Liturgie des Heures (Rituel n° 96), dont on sait combien les intercessions (preces, en latin, que l’on retrouve au singulier à la messe dans la prex eucharistica) renvoient à la vie des hommes. On ne sera donc pas surpris, le jour du Saint Nom de Jésus, si on est entré dans cette intelligence de la liturgie, d’entendre, alors que nous n’avons que le nom de Jésus sur les lèvres, saint Augustin citer « partage ton pain avec celui qui a faim » (Is 58, 7) et rappeler le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain dans l’Office des Lectures.

Dans son ouvrage sur la prière, Romano Guardini écrit : « Lorsqu’il prie seul, [le fidèle] a le droit de se laisser entraîner par les élans de son cœur. Mais lorsqu’il participe à la liturgie, il s’abandonne à une autre impulsion, venue d’une tout autre profondeur : du cœur de l’Eglise qui bat à travers les millénaires. Ses goûts personnels, ses désirs du moment, ses soucis particuliers n’ont rien à voir ici. Il doit laisser tout cela derrière lui et entrer dans le grand mouvement de la liturgie » (R. Guardini, Initiation à la prière, Perpignan, Artège, 2013, p. 263-264). On touche alors du doigt ce que le Concile décrit dans Sacrosanctum Concilium 33 : « Bien que la liturgie soit principalement le culte de la divine majesté, elle comporte aussi une grande valeur pédagogique pour le peuple fidèle ». Ainsi, par ses chants, ses choix de lectures, ses prières, mais aussi ses silences, la liturgie fait expérimenter les données de la foi, sans passer par un discours.

Puissent ces propositions liturgiques permettre à ceux qui les mettront en œuvre de s’épanouir toujours davantage dans l’amitié avec le Christ et le service des hommes. Que la contemplation du Christ ne détourne pas notre regard de l’injustice et de la pauvreté, qu’elle l’affine, au contraire, pour savoir reconnaître au cœur de nos détresses « ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait » (Rm 12, 2).

Le service diocésain de pastorale liturgique et sacramentelle