Amour, paix, partage, humour
Quitter les sentiers battus et rebattus de notre société matérialiste et de consommation pour partir à la découverte du monde de manière différente que celle du tourisme de masse. Nous avons vendu ou donné tout ce que nous pouvions, voiture et meubles, pour ne garder que nos souvenirs dans un petit mètre cube ; un délestage en sorte pas si facile mais nécessaire pour tenter cette expérience, celle d’une vie nomade et minimalisme au long cours, avec un tandem comme moyen de locomotion. Partis en août 2019, nous avons traversé une dizaine de pays.
Nous pensions aller à la rencontre des personnes, or ce sont souvent elles qui sont venues à nous. Par curiosité parfois, par générosité souvent !
S’il y a de quoi désespérer de notre monde, notre vie décalée nous donne chaque jour des raisons d’espérer en l’humain. Pour en témoigner, quelques extraits de notre carnet d’aventure lors de notre traversée de l’Arabie saoudite en mai 2023 : Haql, la première ville saoudienne fut la première ville étape pour nous. Il nous fallait trouver un hôtel ou, à défaut, il nous fallait bivouaquer. Mais pour notre première nuit dans ce nouveau pays, nous avions plus envie de tester un bon lit dans une chambre que de planter notre tente dans la nature. Or, une difficulté de taille nous empêchait de trouver ce que nous cherchions. Nous n’avions pas d’internet, notre carte sim jordanienne nous ayant fait ses adieux, il nous était donc impossible de faire des recherches en ligne et, sans compter que tout dans la ville était écrit en arabe. Impossible de repérer ce qui pouvait être un hôtel. La plupart des boutiques de Haql était fermée. (…)
Nous avons bien reconnu un « supermarket », une grande épicerie en fait, qui était sur le point de tirer le rideau. A la hâte nous avons pris de quoi boire et manger. Nous nous sommes adressés au caissier pour savoir s’il connaissait un hôtel à proximité. Mais comme il ne parlait pas un seul mot d’anglais, il ne pouvait donc nous renseigner. Un homme arrivant juste après nous en caisse, s’est =adressé à nous en français, en nous disant, « je peux vous aider à trouver un hôtel ». C’était un Tunisien rentrant de La Mecque et habitant Haql depuis plusieurs années. Il nous a embarqués dans sa voiture où se trouvaient sa femme et son garçon. Voyant notre mine concernant notre tandem délaissé devant la vitrine du magasin désormais fermés, il nous a dit de
ne pas être inquiets, le vol n’existe pas à Haql. Après avoir déposé chez lui sa femme et son fiston, nous sommes partis tous les trois en quête d’un hôtel. Nous en avons visité trois. Il a négocié les prix pour nous. Nous nous sommes fixés sur un qui pouvait recevoir notre vélo à l’intérieur avec un assez bon rapport qualité prix. Il nous a ensuite amenés dans une boutique miraculeusement ouverte proposant des cartes sim pour notre mobile, utile pour nos futures recherches. Nous avons quand même la baraka ! Tomber sur une personne parlant français et qui n’hésite pas à se rendre disponible pour nous après un voyage de plus de 1000km.
Quitter Haql pour rejoindre Tabuk allait nous mener dans une étape pas très simple. Un parcours de 230 Km avec un dénivelé à plus de 1000m d’altitude et la chaleur nous attendait. Mais ce qui nous inquiétait c’était les longues distances sans possibilité de ravitaillement. Il nous fallait alors
prévoir nos arrêts non pas en fonction de notre fatigue mais en fonction de la présence de magasins ou de stations essence. Mais rapidement, l’inquiétude laissait la place à la surprise. Le ravitaillement venait spontanément à nous. En effet, à plusieurs reprises, des automobilistes sont venus à notre rencontre, n’hésitant pas à faire demi-tour pour se mettre à notre hauteur. Certains nous ont arrêtés pour nous prendre en photo ou nous filmer. Beaucoup nous ont donné à boire et parfois même de la nourriture. Ce qui nous a surpris lors de cette première étape se révèlera
courant à chacune d’elles. Après 70km, nous étions censés tomber sur une station jouxtant une petite mosquée avec une épicerie et un restaurant, c’est en tout cas ce que nous avions repéré sur la carte. En réel, la station devait être fermée depuis un certain temps, de l’épicerie et du restaurant n’existait que deux devantures closes et poussiéreuses. Les lieux semblaient désertés tout comme les bâtiments à proximité avoir été vidés de leurs contenus, des restes de meubles et autres déchets s’amoncelant sur leurs abords. Seule la salle de la petite mosquée demeurait ouverte, mais hélas pour nous, n’offrait pas de point d’eau. Nos réserves étaient épuisées et toute l’eau offerte durant la journée (plusieurs litres !) était consommée. Nous étions quelque peu désemparés dans ces lieux désertés, lieux n’ayant pas tenu les promesses d’un ravitaillement et d’un gîte d’étape pourtant bien mérités. Il n’y avait même pas, dans les environs, moyen de camper notre tente. Nous remettre à pédaler à cette heure avancée de la journée nous paraissait fastidieux.
Deux voitures ont rompu le silence. Elles se sont arrêtées juste à côté de la mosquée. Une famille en habits traditionnels en sont descendus le temps d’une pause et d’une prière. Un homme, peut-êtrele père, n’a fait que confirmer notre inquiétude pour la suite de notre trajet. Il nous faudra faire au moins 40km avant de trouver de quoi nous ravitailler. Il était déjà tard. Pas question de rouler de nuit et impossible de prendre la route le lendemain matin sans eau. (…) Avant de repartir, l’homme nous donna généreusement de l’eau. Celle-ci fut la bienvenue. Au même moment, un petit camion, un Izuzu, avec au volant, un indien, Yacoub, s’est arrêté sur le bord de la route. Nous interpellant, il nous invita à embarquer nos affaires et notre tandem pour nous mener plus loin sur la route de Tabuk. L’homme, qui nous avait vus au début de la journée à Haql, savait que la suite s’annonçait pour nous quelque peu périlleuse. Et comme, sa benne était vide de tout chargement, à la place du fourrage qu’il avait déchargé, il nous a pris en charge. Nous
avions désormais « un Taxi pour Tabuk ». Avec un peu d’anglais nous avons pu un peu converser, durant les 150km. Oui, nous avons finalement fait 150km en camion. Parfois nous regrettions de passer trop vite, avec cette impression de manquer des paysages et panoramas grandioses que nous avions peine à prendre en photo à travers la vitre ou le pare-brise. Mais l’aventure c’est aussi cela. C’est prendre les choses comme elles viennent et les considérer comme des opportunités. L’opportunité dans ce cas précis était de poursuivre notre road trip dans un camion assez pittoresque qu’aucun tour operator n’aura programmé, une expérience qui nous a quelque peu secoués sur une route chaotique, mais surtout une expérience humaine nouvelle. Yacoub, fait la navette entre Haql et Tabuk quasiment quotidiennement. Sa famille est en Inde du côté de New Delhi. Il a quitté son pays pour y trouver du travail et aider sa famille restée au pays. Régulièrement, il lui envoie de l’argent et une fois par an va lui rendre visite. Il dort dans une chambre appartenant à une ferme. Une sorte de logement de fonction. Il ne se plaint pas, il aime ce qu’il fait et trouve belle la route qu’il emprunte chaque jour.
Alors que nous venions à peine de démonter notre tente et ranger nos affaires sur notre vélo, qu’un homme sur sa mobylette s’arrêtât pour savoir si nous allions bien, si nous avions besoin de quelque chose. Il voulait nous donner son petit déjeuner qu’il avait dans une boite, petit déjeuner qu’il devait prendre sur son lieu de travail, un peu plus loin, dans l’oliveraie de la ferme. Nous nepouvions accepter évidemment son offre.
En Arabie saoudite, nous avons été de surprises en surprises et nous pensions alors avoir tout connu en matière de générosité et d’accueil. Des repas nous été offerts, des portes nous ont été ouvertes, des courses dans des magasins nous ont été payées, des cadeaux nous ont été donnés, sans compter toutes les bouteilles d’eau fraîche et la nourriture qui nous ont été distribuées tout au long de notre route. Nous avons toujours reçu de l’aide lors d’incidents mécaniques, alors que nous ne demandions rien. Nous avons été transportés à plusieurs reprises lors de passages particulièrement difficiles à vélo ou lors d’une crevaison. A cette longue liste, nous pouvons désormais ajouter un hébergement dans un hôtel. Nous avons parcouru des paysages avec des vues grandioses, ce fut même toute une aventure de traverser des déserts. Mais par dessus tout, l’aventure ici, dans ce pays, fut une belle aventure humaine, celle qui restera à jamais dans nos têtes et dans nos coeurs.
Mais avant d’ouvrir un nouveau chapitre de notre aventure, qui en une page nous emmènera le long de routes de l’autre hémisphère et d’un autre continent, en Australie, il nous est impossible de ne pas nous attarder sur nos derniers jours en Arabie saoudite, à Jeddah. Il ne pourra être question de la ville de Jeddah que nous avons finalement très peu visitée, mais de notre rencontre avec deux personnages, plein d’humour, toujours de bonne humeur et avec un coeur gros comme ça, deux personnages qui auront marqué à jamais comme nul autre notre traversée du Moyen-Orient : Fouad et Sulaiman, dit Sam. Fouad est l’ami de Khalil, rencontré à AlUla quelques semaines plus tôt et qui nous avait aidés lors de l’une de nos multiples crevaisons. Il nous avait alors laissé son contact « au cas où !». Fouad est le gérant d’un bike shop, un magasin de vélo, (…) Nous avions décidé de nous rendre dans sa boutique pour lui demander des boites en carton pour y conditionner notre tandem en vue de notre tout prochain vol. A peine étions-nous arrêtés devant la vitrine du magasin, qu’il est sorti avec à la main deux petites bouteilles d’eau bien fraîches, aux lèvres un large sourire et de sa voix nous dire « Welcome ! » Il nous avait vus arriver depuis son écran de contrôle de sécurité. Notre arrivée était donc filmée.
Il nous a invités à entrer à l’intérieur qui était bien agréablement climatisé. Nous y avons fait la connaissance de son ami d’enfance qu’il appelle « Creasy Man », Sulaiman. Des inséparables ! Sam est militaire, il parle anglais avec un accent américain. Il a passé du temps au Etats Unis à Cleveland, dans le cadre de son métier. D’emblée, ils se sont passionnés par le récit de notre voyage. Et en évoquant nos multiples et récentes crevaisons, Fouad nous a donné une bande, un liner à introduire entre le pneu et la chambre à air. Il nous donnera par la suite un produit pour nettoyer les deux chaînes du tandem. Il semblait être à l’affût de tout ce qu’il pouvait nous donner. A chaque fois que nous tentions de le payer, ce qui nous semblait normal, il refusait. Il ne vendait pas ce qu’il entendait nous donner. Puis, à l’écoute de notre principale préoccupation du moment, à savoir l’organisation de la préparation de notre grand départ, les deux amis édifièrent ensemble tout un plan que nous allions découvrir petit à petit. Il nous suffisait tout simplement de leur faire confiance. Tout d’abord, il nous fallait un hôtel pour y passer les dernières nuits à Jeddah, cet hôtel ne devait pas être trop loin de la boutique de cycles. Or, les hôtels de la place sont très dispendieux, c’est ce que nous avions remarqué lors de nos recherches. Ils comprirent bien qu’il nous fallait un hébergement avec un prix raisonnable. Nous les suivîmes derrière un Toyota pick-up sur 500m à peine. Devant un hôtel, ils se sont arrêtés, dans le hall plutôt chic, nous nous sommes retrouvés. Un personnel en uniforme y travaillait. Nous étions plutôt dubitatifs et attendions ce qui allait se passer, sans réellement croire que cet endroit était fait pour nous. De cette discussion en arabe entre Fouad, Sulaiman et la réceptionniste, discussion à laquelle bien sûr nous n’avions rien compris, il en est ressorti que nous aurions un appartement rien que pour nous à petit prix. 25€ la nuit.
Quant aux cartons nécessaires pour le voyage en avion, ils nous ont été livrées par Fouad à l’hôtel où nous avions de la place pour effectuer le démontage du vélo et sa mise en boite. Enfin, le pick-up de Fouad fut le véhicule nous menant avec tout notre chargement à l’aéroport. Les deux amis, non seulement nous ont acquittés de tout tracas matériel concernant l’organisation de notre départ en nous amenant des solutions toutes faites aux contraintes imposées par la compagnie aérienne (voyager en avion avec un tandem, une remorque et tout notre matériel, soit 110kg, n’est pas rien), mais aussi se sont préoccupés de notre bien-être lors de notre séjour à Jeddah. Nous nous sommes retrouvés un matin sur une des plages privées, à laquelle avait accès Sulaiman, puisque sa famille y occupe, pour les week-ends et les vacances, un appartement attenant, à nous y baigner dans une eau claire de la Mer Rouge. Nous y avons pris ensemble un breakfast qui tenait bien au corps.
La veille au soir, Fouad a tenu à nous présenter son frère, Mourad qui revenait de Riyad. Une discussion quasi philosophique s’est engagée sur les valeurs devant être celles du voyageur traversant des contrées et des cultures diverses : quatre mots clés en sont ressortis : « Love, Peace, Share, Humor ». Mourad nous a proposé d’inscrire ces maîtres mots « Amour, Paix, Partage, Humour » sur un fanion attaché à notre vélo et d’en faire notre devise.
Il était au moins 23h lorsque nous avons pris congés des deux frères. Sur le chemin de l’hôtel, tous les magasins étaient ouverts. Il y a de la vie et du mouvement jusque tard dans la nuit, seul moment où il est possible d’y trouver une relative fraîcheur. Ce soir là, à cette heure-là, il faisait
encore 33°C. Nous nous arrêtâmes dans un bar à jus pour nous offrir la douceur d’un verre de grenade et mangue pressée. Un client qui se trouvait près du comptoir en attendant sa commande s’empressa de dire au commerçant que la note était pour lui. Alors qu’avec notre tandem, dont le capital sympathie n’est plus à démontrer depuis fort longtemps, nous aurions pu croire que sans lui nous serions plus anonymes et donc moins remarqués. Cet homme, que nous ne connaissions pas et qui nous avait seulement entendus parler français entre nous, a tenu nous souhaiter la bienvenue en Arabie saoudite par ce présent.
Le matin de notre départ, nous nous sommes retrouvés au « bike shop » sur l’invitation des deux compères. Un petit-déjeuner nous y attendait. Puis, Fouad nous donna rendez-vous à l’hôtel à 15h. Et comme nous pensions ne plus voir Sulaiman nous lui avons dit au revoir. Fouad était à l’heure. Nos bagages et nos deux cartons étaient dans le hall. Nous étions large point de vue horaire. L’important, être à l’aéroport 4h avant le départ programmé à 20h pour enregistrer nos paquets hors normes sans qu’il y ait du stress. Du stress, il y en a eu tout de même un tout petit peu, lorsque nous nous sommes aperçus que nous n’étions pas au bon aéroport. C’était un contretemps plus pour Fouad que pour nous. Il devait ouvrir sa boutique à 16h. Un coup de fil à son frère Mourad et l’affaire était réglée. Dans la voiture, un appel de Sulaiman à Fouad, – nous avions reconnu sa voix !-, nous a fait comprendre qu’il serait à l’aéroport pour nous saluer une dernière fois. Cela était effectivement le cas. Il était bien là avec dans les mains un paquet cadeau contenant deux flacons de parfum et un petit mot en arabe, dont il nous donna la traduction plus tard par texto sur notre téléphone. Petit mot qui nous a ému.
Les deux amis sont restés tout le temps qu’il fallait pour s’assurer que tout se déroulât au mieux pour nous. Ils se sont seulement absentés le temps de la prière. Devant la mosquée à l’intérieur de l’aéroport nous les avons attendus. Nos bagages enregistrées et partis sur les tapis roulants
et notre « boarding-pass » en main, nous voulions offrir à nos deux amis quelque chose à boire dans un des cafés. Ils n’ont jamais voulu que nous sortions de notre poche un seul Rial pour eux. Après une séance photo ensemble, ils nous ont quittés non sans accolades fraternelles.
Deux heures plus tard, nous étions installés dans un Airbus 380 de la compagnie Emirates pour Dubaï puis Perth, relisant le mot de Sulaiman : « Je suis vraiment content d’avoir connu ces personnes-là. Cet homme et sa charmante femme ont vraiment tout compris de la vie. Aussi,j’espère vous revoir tous les deux et vous retrouver en Arabie saoudite »

Avec Fouad et Sulaiman à Jeddah, petit déjeuner partagé dans la fraternité… Mai 2023