À toute volée

De gauche à droite : église Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Baslieux, église Saint-Pirmin à Cutry, église Saint-Éloi à Haucourt-Moulaine

La cloche était autrefois un moyen de communication pratique et efficace. Son usage fut laïc, c’est-à-dire institutionnel, politique, juridique, militaire et religieux.

Jadis le temps ne comptait pas, il était en quelque sorte « élastique », car on ne pouvait l’évaluer que par rapport au soleil. Les instruments pour le mesurer comme la clepsydre ou le cadran solaire apparurent peu à peu chez les Grecs et les Romains. Horloges et montres ne se répandirent qu’au XVIIe siècle.

Aussi, durant des siècles, usa-t-on des cloches. Les sonneries étaient d’abord régulières. Sonner les heures fut rendu obligatoire en Occident lors du concile de 801 d’Aix-la-Chapelle, mais c’est Charles V qui, en 1370, le généralisa pour la France avec les heures, puis les demies et les quarts. Cela permettait d’informer la population du guet, du « salve » ou couvre-feu (20h), des conseils, de la fermeture des portes de la ville, de l’ouverture du marché et surtout des horaires de travail.

Mais les sonneries pouvaient être de circonstance. Il était de règle de s’en servir lors d’invasions ennemies, d’émeutes, d’armistices, d’inondations, de brouillard ou neige pour guider les voyageurs, de naufrages pour les régions côtières. Ainsi pour les incendies, c’était le tocsin créé vers 1570 avec ses soixante coups par minute. Sonner les cloches était aussi censé éloigner la foudre et la grêle.

Des timbres annonciateurs

Les cloches furent installées de plus en plus haut pour une meilleure audition et donc dans les tours, flèches ou campaniles. Dans les grandes églises, on trouvait de dix à vingt cloches avec une équipe de quinze à vingt sonneurs. Ainsi entrèrent en jeu diverses composantes : le baptême de la cloche avec un prénom, la sonorité, le nombre mis en oeuvre, le rythme de frappe (par exemple, durée et nombre de coups) et la modalité, à savoir le tintement, le carillon, la volée, la coptée.

Cela permit l’instauration d’un code très précis : la manière de sonner le glas permettait de savoir si le mort était un enfant, une femme ou un homme, s’il s’agissait d’un pauvre ou d’un riche, d’un moine, du roi… Il a ainsi retenti pour la mort de Jean-Paul II, lors de la célébration du 11 novembre ou d’attentats comme en janvier 2015.

On comprend alors que le culte religieux en ait grandement bénéficié, vu que les circonstances majeures de la vie chrétienne étaient nombreuses.
L’annonce des offices religieux et notamment de la messe (appel, élévation) dès le VIe siècle, le Mardi gras pour le début du carême, les baptêmes, les mariages, les décès et les fêtes patronales. C’était aussi le cas pour les cinq grandes fêtes (plenum) : Noël, Pâques, Pentecôte, Assomption et Toussaint. D’autres occasions pouvaient se présenter : ordination, confirmation, arrivée de l’évêque, abandon d’enfant, Te Deum… L’angélus se faisait généralement à 6, 12 et 18 heures grâce à trois fois trois coups suivis d’une sonnerie en volée. Il existait des variantes selon les régions et les saisons : parfois sept, douze et dix-neuf. En Champagne, on sonnait même une quatrième fois pour la reprise du travail à 14 heures. C’était le moment de la prière Angelus Dominin untiavit Mariae (« L’ange du Seigneur apporta l’annonce à Marie »), et cette pratique qu’a immortalisée Jean-François Millet en 1859 fut ordonnée par le roi Louis XI en 1472.

à gauche: Clocher de l’église Saint-Dagobert à Longwy-Haut, XVIIe siècle. La tour de trois étages servait d’observatoire aux défenseurs de la place. Bombardée en 1871 par les Prussiens, elle sera rétablie avec un étage en moins avant d’être de nouveau bombardée en 1914 pour être restaurée après la Première Guerre mondiale.

en haut de gauche à droite : cloches appelées «Élise» et «Anna» et «Mathilde», église Saint-Dagobert de Longwy, fondues par A. Blanchet et L. Bollée d’Orléans (1926).

En ce qui concerne les monastères et abbayes, outre la convocation à l’assemblée du chapitre, on sonnait les heures canoniales : matines ou vigiles (nuit), laudes (aurore), prime (6 heures), tierce (9 heures), sexte (12 heures), none (15 heures), vêpres (soir) ainsi qu’aux complies (coucher).

Le silence des cloches dites « pèlerines » avait lieu du jeudi saint au dimanche de Pâques. Cette tradition qui date du VIIe siècle était un signe de deuil pour commémorer la mort du Christ avant leur retour célébrant la résurrection. Autour de ce rite, se sont greffées coutumes et légendes comme leur départ pour Rome, afin de se faire bénir ou se confesser auprès du pape.

Les cloches étaient donc messagères d’informations diverses pour le peuple de Dieu, mais elles faisaient aussi entendre la voix de Dieu.
Elles faisaient monter vers le ciel les acclamations des fidèles, célébraient la louange et la gloire de Dieu. D’ailleurs, la prière lors d’une bénédiction de cloches ne nous y invite-elle pas : « Seigneur accorde à ceux qui entendront résonner le son des cloches pour les convoquer à l’église, de prêter à ta voix une oreille attentive et de célébrer tes saints mystères d’un seul cœur » ?

Dominique Jacob

En haut, de gauche à droite :
église de la-Nativité-de la-Vierge à Hussigny,
église Saint-Hubert de Cons-la-Grandville

En bas, de gauche à droite :
église Sainte-Hélène à Charency-Vezin,
église Saint-Martin à Othe