Le manteau de saint Martin

En France comme à l’étranger, bien des tableaux et des sculptures représentent le centurion saint Martin sur son cheval en train de couper la moitié de son manteau pour le donner à un déshérité transi de froid. Qui ne sait que l’autre moitié appartenait à l’empereur qui avait fourni une partie de l’argent lors de l’achat ? Il marque par là son honnêteté foncière, puisqu’il n’a donné que ce qu’il possédait en propre, même si le vêtement a été quelque peu détérioré. Ce geste est d’abord et surtout symbole de partage, de générosité. Ainsi se sont trouvés incarnés et pour longtemps les principes de la charité chrétienne. « Ce que tu fais au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que tu le fais », proclame Jésus dans l’Évangile (Matthieu, 25, 40). La nuit suivante, il eut la vision du Christ revêtu du manteau.
Mais on ignore souvent les autres significations.
En donnant ce manteau, il réhabilite et élève le pauvre, il lui rend sa dignité d’homme, il lui fait revêtir pleinement son humanité.
C’est aussi un signe décisif de sa vocation. Lui qui était partagé entre ses aspirations chrétiennes et sa fonction militaire, imposée par son père, il critiquait les principes de l’armée auxquels il était astreint.
Le froid rigoureux, on le sait, peut mener à la mort. Se défaire de son manteau, c’était donner une part de soi, voire se donner soi-même. Négliger sa propre personne, n’était-ce pas signe d’un amour de Dieu poussé jusqu’au mépris de soi ?
Il s’agissait d’un manteau, ou plutôt d’une cape, d’officier. Il symbolisait le pouvoir impérial et était en quelque sorte sacré. Le trancher en deux signifiait renoncer au commandement, à l’armée, à l’Empire. Le choix était posé : fidélité à César ou fidélité au Christ ? Le donner au pauvre frigorifié, c’était reconnaître que le seul vrai roi, le seul maître du monde, c’était le Christ. Ainsi était renversé l’ordre du monde.
En fin de compte, ce manteau déchiré ne signifie-t-il pas de manière toute symbolique cette coupure entre l’été et l’hiver, le changement de saison ?

D. Jacob

Le Christ apparaît en vision à saint Martin revêtu du manteau donné au mendiant,
J. Benoît, vitrail de l’église Saint-Barthélémy à Mont- Saint-Martin.