Homélie de Mgr Michel pour sa messe d’installation

(Re)découvrez ci-dessous l’homélie prononcée par Monseigneur Pierre-Yves Michel à l’occasion de sa messe d’installation comme évêque de Nancy et Toul, le jeudi 18 mai, en la cathédrale de Nancy.

Homélie Mgr Michel

Dès mes premiers jours de prise de contact à Nancy, j’ai entendu ce conseil amical : « Pour commencer à vous inculturer dans votre nouveau diocèse, lisez La colline inspirée de Maurice Barrès. » Cela a fait « tilt » pour l’amateur de lecture que je suis. Rentré à Valence, je me suis précipité dans une librairie générale qui me proposait de commander ce livre… Je ne pouvais attendre et c’est chez mon bouquiniste préféré que j’ai trouvé l’ouvrage… On aurait dit qu’il m’attendait… Et me voilà lancé dans la lecture : « Chapitre Premier : il est des lieux où souffle l’Esprit. Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse. » S’ensuit une longue énumération de lieux symboliques, pour arriver quelques lignes plus loin à ce constat : « La Lorraine possède un de ces lieux inspirés. C’est la colline de Sion-Vaudémont, faible éminence sur une terre la plus usée de France, sorte d’autel dressé au milieu du plateau qui va des falaises champenoises jusqu’à la chaîne des Vosges… »

« Il est des lieux où souffle l’Esprit. » Nous pouvons reprendre ces mots pour méditer ensemble les derniers versets de l’évangile selon saint Matthieu que nous venons d’entendre : ce sont les dernières paroles que Jésus, rempli de l’Esprit Saint, adresse sur la montagne aux onze disciples « Allez ! De toutes les nations, faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » En effet, l’Ascension de Jésus est un envoi en mission pour l’Église. Un envoi en mission associé à la promesse de la venue de l’Esprit Saint, comme nous le raconte le début des Actes des Apôtres entendu en première lecture. Ordonné évêque pour le diocèse de Valence en 2014, le jour de l’Ascension, je reçois le fait de commencer mon ministère épiscopal pour le diocèse de Nancy et Toul aujourd’hui de nouveau en ce jour merveilleux de la fête de l’Ascension comme une invitation forte à vivre toujours plus ce ministère de successeur des apôtres, « comme une participation à la mission du Christ Jésus, notre Maître, qui est Prophète, Prêtre et Roi et comme un appel à lui rendre un témoignage particulier dans l’Église et devant le monde » (Pastores Gregis, n° 9).

Oserais-je demander au Seigneur devant vous et avec vous la grâce de vivre mon service d’apôtre dans une authentique spiritualité de l’Ascension ? Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Il me semble qu’on peut l’envisager dans trois directions.

D’abord, la montée de Jésus au ciel, loin de l’éloigner de nous, le rapproche de nous car ce départ est la condition pour qu’il vienne et reste près de nous dans une intimité beaucoup plus grande, et qu’il nous introduise dans le cœur de Dieu. En effet, Jésus l’a bien expliqué à ses disciples : « Il vaut mieux pour vous que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le Consolateur ne viendra pas à vous » (Jean 16, 7). Or, la venue du Saint Esprit fait prendre conscience à l’Église qu’elle est le vrai corps du Seigneur. En entrant dans le ciel avec les marques de sa Passion et tout le poids de sa vie d’homme au milieu des hommes, avec sa chair crucifiée et glorieuse, Jésus nous provoque à être attentif à sa présence « humaine », à son Incarnation avec tout son réalisme bien concret. C’est le fil rouge de l’Évangile selon saint Matthieu : Jésus est annoncé au début de l’Évangile comme « l’Emmanuel » (celui qui est Dieu AVEC nous, Mt 1, 23) et il se termine par la promesse d’une présence indéfectible et définitive : « Je suis AVEC vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Je repense aux paroles du cardinal Louis-Marie Billé arrivant à Lyon il y a un peu plus de 20 ans, et je les fais miennes en ce jour où je vous suis envoyé : « Je souhaite que l’Église soit humaine. On pourrait dire, elle ne l’est que trop.  Peut-être. Mais ce n’est pas de cela que je parle. Elle est l’Église du Christ, de Celui en qui nous est donnée l’humanité de Dieu, de Celui en qui nous avons découvert que la manière la plus humaine d’aimer était une manière divine. Et je souhaite que notre Église soit humaine à la manière de Jésus, que dans l’épaisseur de ses institutions, de ses projets, de ses comportements, elle dise l’humanité du Christ et tende à servir, avec Jésus, l’humanité de l’homme » (Primatiale Saint Jean, 6 septembre 1998).

Ne jamais négliger la dimension d’Incarnation dans toute la vie de l’Église… voilà donc ce que nous apprend cette fête lumineuse de l’Ascension. Cela n’est possible que si nous relions en permanence le triple corps du Seigneur, comme nous l’enseignent les Pères de l’Église : le Corps de l’Église elle-même, le Corps du Christ dans l’Eucharistie et le corps de l’Écriture Sainte. Tout se tient pour manifester la présence du Christ qui se dilate aux dimensions de l’univers et s’unit à tout homme de tous les temps. La messe nous en donne l’accès, et l’on peut dire que toute Eucharistie est une Ascension. Nous nous accrochons au Christ en entrant dans sa prière et son offrande pour participer à sa vie filiale, bien exprimée dans le Notre Père proclamé avant de communier. J’ai choisi de vivre au cœur de cette première messe parmi vous le geste de Jésus lavant les pieds de ses disciples la veille de sa mort pour qu’ensemble, nous pénétrions toujours davantage dans cette dynamique de service. L’évêque ne doit-il pas entraîner son peuple dans ce service de l’annonce, de la grâce et du don de la paix ? Comment peut-il le faire s’il ne s’abaisse pas en imitant le Christ au pied de ses disciples ? C’est ce que faisait saint Gérard dans sa cathédrale de Toul chaque vendredi de carême, en lavant les pieds à 12 vieux pauvres. Aujourd’hui, ce sera un groupe représentatif de la diversité du Peuple de Dieu, mais l’appel adressé par Jésus à l’Église d’être servante est toujours d’actualité !

Enfin, remarquons que la joie des disciples surgit après l’Ascension, et cela dit l’importance de cet article du Credo : « Il est monté au ciel. » Quel est le motif de leur joie ? Ils ont compris que Jésus est au ciel avec la même humanité que la nôtre. Dès lors, nous pouvons exercer notre mission de disciples du Christ en toute circonstance en imprégnant les réalités les plus ordinaires de la marque de l’espérance du Christ Sauveur. Si l’horizon est ouvert comme l’atteste la marche du Christ près du Père, alors nous ne pouvons plus nous arrêter en chemin, ni nous laisser paralyser par les épreuves de notre temps. Disciples appelés et envoyés aujourd’hui, nous devenons d’audacieux messagers de la Résurrection, nous osons démasquer tout ce qui défigure l’homme pourtant promis dans sa fragilité à refléter le visage du Fils bien aimé, nous devenons attentifs au cri de la terre et au cri des pauvres, et ce cri nous met en route, nous aimons l’Église même dans ses lourdeurs car elle est notre mère et nous emboîtons le pas à nos frères et sœurs les saints qui nous montrent la route, de saint Mansuy, premier évêque de Toul à saint Charles de Foucauld en passant par les femmes énergiques comme la bienheureuse Marguerite de Lorraine et la bienheureuse Alix Le Clerc. Que cette Eucharistie me mette et nous mette tous en tenue de service !